mercredi 1 janvier 2014

Je suis d'accord avec vous !


Comme chaque année, au premier jour de l'an, quelques instants avant 18h56, je monte un peu le chauffage, je mets sur le tourne-disque l'opus 26 de Félix Mendelssohn, l'ouverture des Hébrides, ou la Grotte de Fingal, je noue autour de mon cou ma cravate bleue à rayures rouges, je me coiffe avec la raie au milieu, et je me poste devant le miroir. 

À 18h56 précises, je commence. « Je suis d'accord. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vous comprends parfaitement, je suis en plein accord avec vous. Je suis sur la même longueur d'onde, ô combien ! Ça me va parfaitement. Nous sommes d'accord. Pareil pour moi. Je pense comme vous, exactement comme vous. C'est bien là que je voulais en venir ! Je vois que nous partageons les mêmes conclusions. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre vous et moi. »

Je fais attention de bien articuler. Je prononce ces phrases avec le plus de netteté possible, en les séparant de quelques secondes durant lesquelles je reprends la pose, avec quelques variations de bon aloi. Je souris. Je penche légèrement la tête pour donner plus de poids à mes paroles. Je plisse un peu les yeux, juste un peu, je prends un air convaincu, qui ne laisse aucun doute à mon interlocuteur sur notre accord parfait.

J'adore être d'accord, j'aime penser la même chose que ceux qui m'entourent, je désire ardemment être sur la même ligne, épouser les idées de mes commensaux, partager leurs opinions et leur morale, faire miens leurs désirs, leurs projets, leurs souhaits. Je n'ai pas de plus grand plaisir que celui-là. C'est mon seul vrai bonheur.



Est-ce de ma faute si cette joie m'est constamment refusée ? On dirait que tous ils se sont mis d'accord pour soustraire mesquinement ce petit plaisir bien légitime à mon âme assoiffée de concorde intellectuelle, pour me priver cruellement de cette félicité ordinaire qui fait le fonds de la communauté des hommes. Je ne comprends pas cette étrange obstination à vouloir m'exclure de l'espèce humaine, moi qui ai tout mis en œuvre, et depuis toujours, pour lui appartenir sans réserves. 

C'est d'ailleurs cette raison qui m'a poussé à ouvrir un blog. 

Cette année, pour faire comme Renaud Camus, je ferai chaque jour mon autoportrait. Afin de ressembler à Didier Goux, je vais tenir mon journal. Pour me mettre dans la peau de François Hollande, je vais sortir quand il pleut, sans parapluie, et marcher en ville, durant de très longues minutes. Pour imiter X, je vais entamer un régime alimentaire. Pour m'approcher un peu de Y, je vais parsemer mon discours de phrases en anglais. Pour avoir l'air de Z, je vais m'occuper du salut de la patrie. Pour entrer dans la peau de J, je l'observerai longuement dans le miroir. 

On verra bien ce que cela donne mais j'ai toute confiance dans mon système.