« L'arace, l'arace, Bernard, tu vas encore nous bassiner longtemps avec l'arace ??? »
Lundi 18 novembre 2013, minuit et demi. Maurice Ollender, à midi, sur France Culture, a bien voulu convenir, mirabile auditu, que le mot race était « l’un des plus beaux de la langue française » (c’est bien mon avis, et celui de nos Églogues…) ; et qu’il avait eu, « avant le début du XIXe siècle », toute sorte de significations merveilleuses. Moyennant quoi le même docte spécialiste estime, avec la plus grande commisération pour les imbéciles et les salauds qui pourraient penser autrement, que les races n’existent pas. Cette opinion m’a toujours semblé prodigieusement absurde ; et témoigner, surtout, d’une extraordinaire méconnaissance de ce que c’est que le sens, les définitions, les mots, les notions, les concepts, le langage.Qu’on puisse dire que les licornes n’existent pas, je le conçois — et encore (les tapisseries en sont pleines). Mais les races… Autant dire que les notions n’existent pas, que les concepts n’existent pas, que l’Europe n’existe pas (il est vrai qu’on ne s’en prive guère). Bien entendu j’admets parfaitement qu’on puisse dire que la notion de race n’a pas de fondement scientifique véritable ; encore que ce ne soit là qu’une opinion, à mon avis, certes majoritaire (je crois). Et, bien entendu aussi, j’admets encore plus parfaitement (c’est même une assertion à laquelle je souscris tout à fait) que la notion de race a des confins tout à fait flous, qu’on ne peut pas l’enfermer dans elle-même, ni la faire coïncider avec sa définition. Mais quel mot, et surtout quelle notion, quel concept, coïncident-ils avec leur définition ? L’exigence wittgensteinienne de logique absolue, appliquée au langage, qui par définition est mouvant, flou, troué d’enclaves et agité de perpétuelles révisions de frontières, permet de dire d’absolument n’importe quoi, même des vaches, des maisons, des fleurs, que ça n’existe pas. Gadamer, si mes souvenirs sont exacts (ne croit-il pas à la nécessité du malentendu, de l’approximation, pour qu’il y ait échange ?), est autrement judicieux, à mon avis, dans ce domaine-là.La métaphore géographique est d’ailleurs très éclairante, comme souvent. Qu’on essaie un peu de dire ce que c’est que la Gascogne, que la Saxe, et même que l’Auvergne si l’on veut bien songer qu’aujourd’hui Moulins et Le Puy sont en Auvergne, ce qui pour un Auvergnat, et pareillement pour un Bourbonnais, ou pour un Vellave, est une aberration et pourrait amener à soutenir, à la façon d’Alexandre Vialatte, que l’Auvergne n’existe pas ; ou même que les provinces, les régions, les entités géographiques en général (sauf peut-être les îles ?), n’existent pas. Tout juste peut-on soutenir que Moulins et Le Puy sont en Auvergneau- sens-où-l’on-parle-de-la-moderne-et-toute-administrative-Région-Auvergne. Et de même on peut dire que les races n’existent pas au-sens-où-l’on-ferait-référence-à-telle-donnée-scientifique-rigoureuse-répondant-à-tel-et-tel-critère-de-pertinence-exclusive (qu’il suffit de bien choisir). En dehors de cette exigence scientifique, pour le coup, la proposition n’a aucun sens. Elle n’a d’autre pertinence que polémique (et policière).Et pourtant, pourtant, que de paisibles et confortables carrières universitaires, médiatiques, éditoriales, construites et entretenues sur le rabâchage de cette seule assertion à haute rentabilité socio-économique ! Les pires abrutis peuvent se couvrir d’honneurs, de prébendes, de sympathie et de prix littéraires en n’affirmant rien d’autre durant des décennies, sur tous les modes et les médias connus. “La grande table” aujourd’hui était consacrée, donc, au racisme, en ces temps de crise des valeurs républicaines (magari !) ; et comme n’étaient invités, il va sans dire, que des gens qui pensent exactement la même chose, l’émission a dû offrir, à cette occasion, une de ses livraisons les plus obscènement ronronnantes. (…)
Renaud Camus, Non, Journal 2013