C'est à se demander (ou à avancer comme tentative de réponse), si la grande musique savante du 20ème (Bartok, Barber, Webern, Boulez, Ligeti, Gubaidulina, etc.) n'existe pas comme pur retrait au fracas du siècle, et jusqu'à ces moments où elle paraît vouloir imiter le tumulte ou le chaos sonore qui font sa signature – cette musique requiert le silence comme aucune dans les siècles précédents. Elle ne peut jamais et en aucun cas s'accommoder de quelque accompagnement parasite ou synergique à son existence, et pas davantage ne peut être accompagnement de son siècle, à la différence des musiques qui l'avaient précédée (musique de danse, de table, d'accompagnement de la conversation, de scènes galantes, de noces, de funérailles et de tout ce que l'on voudra). La musique du 20ème n'accompagne que le silence introuvable en ce siècle. Elle impose le silence ou du moins le dépouillement sonore, qu'elle exalte et célèbre. Elle est contrepoint au tintamarre du siècle; elle lui tourne résolument le dos, au lieu d'en être, comme ses prédécesseuses, l'émanation harmonique. Le 20ème siècle ne pouvait être mis en musique, sa musique la plus accomplie en est le négatif, tout entière l'image de son rejet, la célébration de son contraire sensible (le silence vs le bruit). Mais aussi: ce divorce entre la musique savante et son siècle bruyant a ouvert le champ délaissé par elle à toute musique prête à accompagner le bruit du monde: le jazz, les musiques syncopées, le rap et le reste – musiques de soutien et d'acceptation mimétique du siècle.
Francis Marche, ici. (…)