mardi 16 avril 2013

Le dernier prochain et le prochain dernier en huit



Où sont donc passés les dimanches derniers et les jeudis prochains, tous remplacés par les "ce dimanche" et les "ce jeudi" ? C'est tout de même incroyable : On avait en français une manière pratique, précise et adéquate de désigner un jour à venir ou un jour passé, de le situer parfaitement et sans ambiguïté dans le temps, et c'est sans doute cette clarté qui a déplu aux adeptes compulsifs du changement à tous les étages, aux techniciens de surface orwelliens de lalangue. 

Il n'est désormais plus question de savoir de quoi l'on parle, mais tout le monde bien entendu fait comme si de rien n'était. En parlant — aujourd'hui — ("ce jour", comme dirait Arnaud Laporte de France-Culture) de dimanche dernier, je savais qu'il était question du dimanche 14 avril 2013, et en évoquant dimanche prochain, tout le monde comprenait qu'il s'agissait du dimanche 21 avril 2013. Depuis que France-Culture et Télérama on supplanté l'Église de France et que des Jacques Chirac et des François Hollande se prennent le plus sérieusement du monde pour des présidents de la République, tout le monde fait mention de "ce dimanche", et l'on se demande comment comprendre de quel dimanche on parle. Le plus proche (avant-hier) ou celui qui vient ? (Et si l'on parle "depuis" le jeudi ?) Hier soir à la radio, j'ai eu un élément de réponse à cette angoissante question. À ma grande surprise, étant réapparu soudainement un "dimanche prochain", comme sorti de terre, encore emmailloté dans son linceul citoyen, j'ai tendu l'oreille. Ce dimanche prochain là désignait en fait le dimanche 28 avril 2013, soit le dimanche suivant dimanche prochain. J'en déduis donc que "ce dimanche" doit logiquement désigner ce que naguère on nommait dimanche prochain, mais la chose serait trop simple. En effet, j'ai constaté à plusieurs reprises qu'un "ce dimanche", lorsque par exemple on était un lundi, pouvait alors désigner un ci-devant dimanche dernier. La seul certitude que je retire de tout cela est que ces abrutis ont la volonté farouche de ne pas se comprendre, bien qu'ils ne cessent de réformer la langue dans le but revendiqué de la "rendre plus compréhensible", puisque toutes les procédures que le français avait inventées pour rendre le monde et la pensée clairement exprimables sont désormais remplacées par une indigeste bouillie qui oblige à mille fois plus d'efforts et de périphrases pour arriver, non pas au même résultat, mais, disons, à un degré tout juste acceptable de communication. Et je préfère de rien dire des prépositions "sur" et "en", qui sont en train, telles des algues tueuses, d'exterminer toutes les autres prépositions de la langue française, un peu à la manière dont les enfants incultes, se tenant devant un piano, commencent par n'utiliser que les cinq notes noires (sur les douze que comporte une octave), afin d'avoir l'illusion d'être capables d'exprimer quelque chose. La différence est que nos contemporains font le chemin inverse d'un enfant qui peu à peu est éduqué, c'est-à-dire élargit son clavier. Ils ont commencé par connaître les douze sons de la gamme et finissent par n'en utiliser que trois ou quatre, dans le meilleur des cas. 

C'est un système pervers qui prétend simplifier et qui complique inutilement, qui remplace là où il n'y a rien à remplacer, qui enlaidit à plaisir une langue pour en faire la caricature d'elle-même, peut-être dans le but non avoué de la faire disparaître tout à fait, lorsqu'il sera devenu évident qu'elle a enfin perdu tout ce qui la rendait indispensable et inestimable, en d'autres termes lorsqu'elle aura cessé, elle aussi, d'être française.

La laideur est toujours une perte de temps et d'énergie, que ce soit dans la langue, dans la musique ou chez les êtres humains.