samedi 11 août 2012

Le nougat


Qui vomit a dîné. C'est vrai. J'ai vomi dans la baignoire, dans mon bain, tout à l'heure. Toute la soupe au pistou, plus le melon, plus le vin. J'ai eu faim immédiatement après. Pourtant j'ai dîné. Je ne suis pas malade, pas du tout. Je ne sais pas ce qui s'est passé : pour la première fois de ma vie, vomir n'a pas été un calvaire. C'était violent, oui, mais évident, puissant mais presque agréable. Après tout, on va bien chier, après avoir mangé, et ce n'est pas désagréable non plus. Mais on est habitué. Il a fallu me laver, et nettoyer la baignoire, et les gros morceaux sont restés coincés, c'était un peu désagréable. mais enfin, faire le ménage n'est jamais agréable. Je me suis dit : Si ce n'est que ça, vivre : ça va. Moi au moins j'ai dîné. Et j'ai eu envie de nougat. J'aime le nougat. J'adore le nougat. Sous toutes ses formes. Le nougat est une hostie dure. Montélimar est ma Rome à moi. Pas une fois je n'y passe sans acheter du nougat. Enfant, quand je vomissais, je croyais mourir, à chaque fois. et je vomissais souvent. Le salut, c'était la main de ma mère sous mon front. La première fois que j'ai vomi sans la main de ma mère sous mon front, c'était au-dessus du collège Saint-Michel, à Annecy, dans la colline, à la fin de la troisième. On avait bu de la bière, beaucoup de bière, et j'ai été malade comme un chien. Pas de main sous mon front. Atroce. je préfère encore qu'on me plante des aiguilles dans tout le corps. Une autre fois, je revenais, seul, d'Angleterre où j'étais allé m'acheter un synthétiseur qu'on ne trouvait pas en France, un AKS de la marque EMS. C'était une petite mallette noire, un concentré de technologie inouï, pour l'époque, une merveille. Je l'avais payée un million, enfin, un million de centimes. Toutes mes économies, c'était un trésor que je rapportais. J'avais pris l'hydroglisseur. Saloperie ! Une mer affreuse. J'ai laissé le trésor sur un banc, et j'ai passé toute la traversée aux chiottes à me vider en chialant : j'étais en train de crever, tout simplement. Plus rien à foutre, du synthétiseur : on aurait pu me le piquer sous mes yeux que j'aurais pas levé un sourcil. On aurait pu me violer, je me serais laissé faire. Pas de main sous mon front, là non plus. L'enfer. Plus que l'enfer. Je n'avais pas dîné. 

Les Anglais ne connaissent pas le nougat. La plupart des gens ne connaissent pas le nougat. Quand ils en achètent, ils achètent n'importe quoi, et ils appellent ça du nougat, et ils pensent qu'ils ont mangé du nougat. Le vrai nougat est très rare. Comme les femmes. Les vraies femmes sont très rares. Je connais beaucoup de types qui n'en ont tout simplement jamais rencontrées. Ça ne les empêche pas de parler des femmes, et même de la Femme. Et même de prétendre qu'elle n'existe pas. Bien sûr qu'elle n'existe pas, puisqu'ils ne savent pas à quoi elle ressemble. Pour moi, un requin n'existe pas. Pour moi le requin est une créature qu'on voit dans les films, et qui effraie des couillons qui ont payé pour avoir peur. Vous avez déjà vu une femme vomir ? Vous avez déjà tenu son front pendant qu'elle vidait ses tripes, la tête dans la cuvette des toilettes ? C'est une créature préhistorique, elle a des millions d'années, quand elle vomit, le front sur votre main. Si on regardait son dos, à ce moment-là, on verrait les écailles, et les poils, et les nageoires. Mais on ne regarde pas. On fait comme si on était là pour l'aider, la soulager, la réconforter. Comme si on pouvait.

Toutes les femmes que j'ai aimées aimaient le nougat et les dragées. Les amandes. Ne pas aimer les amandes, quand on est une femme, c'est affreux. C'est pire que d'être borgne ou d'avoir une haleine de phoque. Les Arabes ont une friandise qui ressemble au nougat, le halva, mais on voit bien tout de même qu'il ne s'agit que d'un dérivé, qu'un truc de substitution. Pas mal essayé, mais c'est raté. J'allais en manger au Quartier latin, quand j'avais dix-huit ans. Je trouvais ça mystérieux, cette espèce de pâte blanche. Je ne savais pas de quoi elle était faite, ça ne ressemblait à rien de connu, c'était un peu comme la méthadone pour qui est accroché à l'héroïne. Loin de Montélimar, c'était mieux que rien.

L'exotisme est un luxe de pauvre. J'en ai assez d'être pauvre. Ça va un moment. C'est marrant d'être pauvre quand on a vingt ans, c'est vrai. C'est amusant de coucher avec des Africaines, des Chinoises, des Arabes, des Indiennes, des Paraguayennes, c'est drôle de manger du riz complet avec des beatniks américains, mais là j'ai envie de Françaises qui me préparent des déjeuners français avec du vin français. Je veux manger dans des assiettes de chez Bernardaud et je veux des couverts en argent, j'en ai assez des nappes trouées et des couverts dépareillés qui étaient à la mode dans les années 70, je déteste les services rustiques qui sentent la poutre apparente et qui se marient si bien avec les musiques populaires, je veux du jardin à la française et des cuisses blanc ivoire surmontées d'une épaisse forêt noire qu'on ne taille jamais. Je veux vomir en famille, en écoutant Mozart ou Boulez, dans un soutien-gorge en soie. J'en ai assez de l'exotisme.

Tout le monde fait semblant de ne rencontrer que des filles formidables, gentilles, aimables, belles et intelligentes, alors que la plupart, il faut bien l'avouer, sont de fieffées connasses même pas foutues de faire correctement la cuisine. Complètement incultes pour la plupart d'entre elles, sans une once d'humour, sans la moindre compassion pour les hommes, qui sont vraiment dans une merde noire depuis un bout de temps. elles ont en plus des exigences de princesses, alors qu'elles parlent et s'habillent comme des caissières de supermarché. C'est vraiment à pleurer. Quand ces connes nous quittent, on se demande toujours si on doit s'en réjouir (Dieu m'a sauvé !) ou bien pleurnicher sur notre sort, histoire de paraître un peu normal tout de même. L'autre jour, une amie me raconte qu'un type complètement dingue d'elle et qu'elle avait repoussé, malgré sa Ferrari, lui avait sorti, en désespoir de cause : « Un jour, tu seras vieille, moche, malade, et sans dents. Ce jour-là, tu penseras à moi. » Et toutes les copines évidemment de s'esclaffer méchamment sur le pauvre type qui avait sorti pareille énormité. Pas plus connard, ma pauvre, tu l'as échappé belle, etc. Tu parles ! Pour une fois qu'il y en a un qui dit la vérité… Et qui a de l'humour ! Pour être aimé des femmes d'aujourd'hui, il faut impérativement mentir, sur tout, ET ne pas avoir d'humour. Mais qu'est-ce que vous imaginez, qu'on ne vous connaît pas, qu'on ne vous a jamais vu vomir, puer des pieds, vous ridiculiser au lit, parler la bouche pleine ? Êtes-vous capable de seulement tenir le front d'un homme qui vomit sa vie, dont la mort en marche prend tout à coup la forme de cette bouillie chaude qui jaillit comme la lave d'un volcan sous-marin ? Ça sent mauvais ? Oui, en général, la mort, ça pue. Vous devriez le savoir, puisque vous donnez la mort en même temps que vous donnez la vie, ça sort de la même fente et c'est souvent pas beau à voir. Le sexe, c'est comme vomir. On a dîné, on vomit, et on a encore faim. Un éternel recommencement, en pure perte, c'est le cas de le dire. Et de temps en temps, un mouflet se met en travers du chemin. C'est le moment pour un alleluia, tout devient sérieux à mourir, alors que l'instant d'avant vous étiez prêtes à nous pisser dans la bouche en mettant le cul à la fenêtre. Une femme qui rit, c'est toujours suspect. Il n'y a que lorsqu'elles pleurent qu'elles ont un peu d'humour.

Les hommes et les requins perdent leurs dents, mais celles des requins repoussent. A-t-on déjà vu un requin vomir ? Non, les requins, ça ne vomit pas. C'est une machine parfaite, un requin. Pas comme une merde d'homme qui pédale avec ses palmes ridicules et ses grosses bouteilles dans le dos. Et les pauvres hommes de s'apitoyer sur les pauvres requins que les pauvres hommes exterminent sans aucune hésitation, pour en faire de la soupe pour touristes qui vont aller vomir aux toilettes leur soupe aux ailerons de requins.

Je préfère le nougat. Le nougat est l'avenir de la femme.