vendredi 17 août 2012

Au cœur des ténèbres


Une anomalie, une erreur, un accident, une aberration, une bizarrerie, une extravagance, la survivance inattendue d'une bactérie résistant aux multiples traitements de choc administrés de manière pourtant radicale ces dernières années par toutes les radios françaises, la persistance inopinée d'un microbe têtu buté tenace obstiné opiniâtre, une mauvaise plaie qui se rouvre sur la plage alors que tous les indicateurs sont au beau fixe depuis des mois, un clin d'œil du passé, une facétie de bobo désœuvré, une prophétie oubliée de Nostradamus, le caillou dans la chaussure du Son, le retour des morts-vivants, la maladie auto-immune de la Bathmologie arrivée aux confins du Sens, après un interminable voyage ? Aucune idée, mais le fait est là, l'Événement est avéré : j'ai entendu Tristan et Isolde, hier-soir à France-Musique. Depuis des décennies, en été, à la radio, on peut entendre la diffusion en léger différé du festival de Bayreuth. Je me souviens encore de mon père rentrant plus tôt du travail et s'enfermant dans sa chambre, d'où s'échappait ces brumes sonores inquiétantes et entêtantes…

Il existe donc, aujourd'hui, en 2012, dans un pays innommable et innommé, quelqu'un qui a décidé, envers et contre tout, qu'il fallait continuer à faire entendre le festival de Bayreuth aux dormeurs d'ici. C'est tellement improbable qu'on hésite à en parler, de peur de se réveiller : comment, vous avez écouté la retransmission du festival de Bayreuth à France-Musique, à l'été 2012 ??? Ah ah ah ah, la bonne blague ! On n'a pas envie de passer pour un fou ! Je suis allé vérifier sur Internet où l'on peut trouver les programmes de la chaîne, et, mis à part une curieuse divergence à propos de l'horaire, la Chose est bien là. 

Que se passe-t-il ? Wagner, le festival de Bayreuth, vous voyez de quoi on parle !? Écouter de la musique sur France-Musique était devenu une chose presque rare, presque incongrue, paradoxale à tout le moins, mais que quelqu'un ose encore programmer le festival de Bayreuth, en 2012, à une heure de grande écoute, est tout de même plus que troublant. Mais si, vous savez bien, Bayreuth, Nietzsche, Schopenhauer, Hitler, les Boches, toutes ces choses… L'Horreur avec un grand H. Mais que fait Laure Adler, que fait Romain Goupil, que fait Yannik Noah ? Ils sont en vacances, personne pour les prévenir ? Et la Béard, et la Binoche, et les Indignés, et les Printaniers arabes, et Stéphane Hessel, et l'ONU, ils sont tous au sanatorium en train de jouer au scrabble ? Et les blogueurs, ils sont à la plage en train d'attraper des coups de soleil, ils ont oublié d'activer la cellule de veille estivale ? Encore, on aurait fait entendre Tristan et Isolde, comme ça, dans la nuit moite, bon, je veux bien, pourquoi pas, nous sommes tolérants, mais là ce qui est grave, ce qui est intolérable est qu'on ait CONTINUÉ, depuis tant d'années, continué à diffuser ça. L'erreur est humaine, mais c'est persévérer qui est intolérable. Maintenant que l'on sait, enfin, ce que ces horreurs ont produit, à quelles sinistres fins elles ont conduit, quelle inhumanité était en germe en elles, il est plus que criminel de poursuivre dans cette voie. On connaît l'apostrophe : "Pire qu'Hitler !". Ah, on voit que France-Musique n'a pas eu la chance d'avoir les directeurs de France-Culture, qu'elle reste, cette radio, si peu que ce soit, dans les limbes de l'humanité, qu'elle n'a pas encore tout à fait accédé à la vérité. J'interpelle le MRAP et la LICRA qui honteusement laissent se perpétrer ce crime tranquille et je ne doute pas que mon cri d'alarme sera entendu de toutes les vraies consciences morales de ce pays. 

Et pourtant, malgré tout ce que je viens de dire, l'important n'est pas là, bien entendu. Ce qui est proprement sidérant n'est pas qu'un fou ait décidé de continuer à faire entendre le proto-Nazi et ses cinglés grotesques, non, ce qui est réellement anormal et inquiétant est qu'on entende encore, parfois, rarement mais tout de même, de la musique sur France-Musique. Le Bien n'a pas encore tout à fait vaincu, mes chers amis, il faut se rendre à cette triste évidence.