Ce matin, sur Facebook, je lis cette phrase, reproduite à partir du "Discours de Rome", de Lacan : « La psychanalyse, est un gay savoir. » Non, ce n'est pas le "gay" qui m'intéresse (quoi qu'il y aurait évidemment beaucoup à dire à ce sujet !). Je fais remarquer à ceux qui reproduisent un extrait de ce texte, commençant par cette phrase, donc, que cette virgule, entre le sujet et le verbe être qui suit immédiatement, est tout de même un peu étrange. (En lisant la phrase, on entend parfaitement, c'est au moins la vertu de cette ponctuation idiote, la vocalité de Lacan, et ses "respirations" qui n'en sont justement pas. Mais là n'est pas la question, et quand on écrit un texte, eût-il été prononcé lors d'une conférence, il n'y a aucune raison (aucune bonne raison, parce que des raisons, il y en a, précisément) d'écrire cette ponctuation qui ne ponctue rien, du point de vue de la syntaxe.) Que me répond-t-on alors ? « La ponctuation, c'est une respiration, à prendre comme telle ;-) » [C'est un psychanalyste qui parle]…
Les trois points sont de moi. Ces gens-là sont censés être capables de penser, être à l'écoute (c'est-à-dire avoir un peu d'oreille), et surtout, me semble-t-il, connaître et savoir manier la langue, puisque la psychanalyse (surtout lacanienne) ne passe que par le langage. Tous les jours, je remarque que les plus petits signes (et la ponctuation est l'un de ces signes) disent des choses énormes sur ceux qui ne s'entendent pas parler. Respiration, vraiment ? Bizarre, Cher Cousin, bizarre ! Quand Lacan faisait ce genre de pauses qui n'ont aucun rapport ni avec la syntaxe ni avec un besoin physiologique (reprendre son souffle), il regardait par-dessus ses lunettes, il envoyait un double signe à son auditoire : je fais ce que je veux avec la langue et je vérifie que ma toute-puissance supposée vous tient sous le charme. C'était l'un des très nombreux détours qu'il imposait sans cesse à ses disciples au cas, assez improbable pourtant, où ceux-là auraient eu l'inconscience de croire comprendre une phrase faite d'un sujet, d'un verbe et d'un complément. Ce n'est pas son souffle, qu'il reprenait au cours de ce genre de détour, c'est le souffle des auditeurs qu'il tenait en état d'inquiétude. C'est un truc d'orateur, et d'orateur, en l'occurrence, intelligent, compositeur, improvisateur, et pervers. Quand les disciples reproduisent (des décennies après la mort du maître) les tics et les trucs du maître, sans comprendre ce qui produit ces tics et ces trucs, qui plus est en passant d'un régime oral à un régime d'écrit, on peut légitimement avoir toutes les inquiétudes du monde en confiant à ces gens-là ne serait-ce qu'un secret d'alcôve.
Il y a pas mal de psychanalystes sur Facebook, qui mettent des photos, des musiques, des citations et des références, afin qu'on puisse avoir d'eux une "image" (les inconscients !). Allez les regarder, prenez un moment pour ça, vous verrez, c'est affligeant, et ça en dit beaucoup plus long sur la psychanalyse et sur les psychanalystes que tous les discours de Rome ou que toutes les plaques professionnelles sur les portes de Paris ou d'ailleurs. À prendre comme tel. Tous les chemins mènent à Rome, à condition de ne pas regarder les panneaux de signalisation.