dimanche 31 juillet 2016

L'amour



Elle parle d'amour toute la journée. Elle dit : j'aime, je suis amoureuse, mon amour, mon chéri, je t'aime, je ne suis qu'amour, etc. 

On l'entend ne pas s'entendre. On l'entend très clairement parler de quelque chose qu'elle aimerait connaître. On entend son désespoir de ne pas aimer. On entend une sorte de folie très ordinaire. 

On entend le vide, la peur, l'espoir, on entend une psalmodie, une récitation, une prière. 

On n'entend rien.

vendredi 29 juillet 2016

Le prénom



CORA. Je suis à la caisse. Comme d'habitude, je regarde le nom de l'hôtesse de caisse, nom qui est inscrit sur sa poitrine, à droite. Ces prénoms me passionnent.

Mais la jeune femme a les cheveux longs, qui tombent sur sa poitrine, masquant à demi le prénom, et je suis myope. Je me penche très légèrement en avant pour parvenir à lire. À ce moment-là, mon regard croise celui de la caissière et je me mets à rougir, car je comprends instantanément à son coup d'œil qu'elle pense que je reluque ses seins.

Je ne vais tout de même pas me justifier. Je reste donc avec une honte qui n'a d'autre objet que l'intention que cette jeune femme a cru déceler dans mon geste.


***


CORA. Je suis à la caisse. Comme d'habitude, je regarde les seins de l'hôtesse de caisse.

Mais la jeune femme, qui porte les cheveux longs, a un nom inscrit sur sa poitrine, sans doute le sien. Je me penche très légèrement en avant pour parvenir à mieux voir ses seins. À ce moment-là, mon regard croise celui de la caissière et je me mets à rougir, car je comprends instantanément à son coup d'œil qu'elle pense que je veux connaître son prénom.

Je ne vais tout de même pas me justifier. Je reste donc avec une honte qui n'a d'autre objet que l'intention que cette jeune femme a cru déceler dans mon geste : connaître son prénom.

vendredi 1 juillet 2016

30 CH



Je lis de plus en plus souvent le mot "audiophile", dans des commentaires ou même des textes sur la musique. Comment en est-on arrivé à substituer au classique "mélomane" ce terme absurde d'"audiophile" ? L'audiophile est celui qui aime le son. Le son n'est évidemment pas la musique, pas plus que les mots et les phrases ne sont la littérature.

Eh si, justement ! Aujourd'hui, la musique, c'est du son, c'est "le son". Le son c'est de la musique, si l'on veut, mais une musique d'où est absente sa composante fondamentale : la pensée. Il est donc tout à fait logique que l'on nous parle désormais des "audiophiles", en lieu et place des mélomanes qui, il faut bien le dire, se font si rares qu'ils n'ont même plus une station de radio qui leur est dévolue.

De mon temps, les "audiophiles" étaient ces gens un peu ridicules qui dépensaient des fortunes dans du matériel audio de très haute qualité. Je m'en souviens parfaitement, car un de mes frères ainés était de ceux-là. Plus ils faisaient attention à la qualité du son, ces audiophiles, moins ils écoutaient… la musique. Il s'agit là typiquement d'une perversion. On perd de vue (d'ouïe) la substance de la musique, pour n'en conserver que l'enveloppe.

Mais les choses ont tellement évolué qu'on ne doit même plus comprendre ce dont je parle. J'ai eu hier, sur Facebook, une discussion tout à fait hallucinante avec une dame qui me parlait du pianiste Polnareff, et qui voulait à tout prix me persuader que celui-ci donnait des concerts, « de la même manière qu'une Callas ou qu'une Montserrat Caballé »… Quand les mots perdent à ce point leur sens, il n'y a plus de conversation possible.

Un berger, j'imagine, aime sans doute beaucoup le son qui l'entoure, quand il mène ses bêtes dans les pâturages ; et je ne peux que lui donner raison. Les sons de la nature sont la plupart du temps très beaux, mais la musique c'est autre chose, puisqu'il s'agit d'une construction humaine. Qui dit construction dit pensée, dit composition (au sens strict : poser avec, à côté, mettre des sons en rapport les uns avec les autres, et de ces rapports, tirer un sens, un langage, des images). Qui dit composition dit donc relations. Si vous ne savez pas mettre des sons (et des sens) en relation les uns avec les autres, vous ne savez pas composer, de la même manière que si vous savez pas mettre des phrases (et des sens) en relation les unes avec les autres, vous ne savez pas écrire. Peu importe le son, peu importent les mots, dans un premier temps c'est le sens qui importe. Qu'il existe une composante hédoniste dans la musique est indéniable. On peut parfaitement prendre du plaisir, un plaisir passif, à la beauté des sons, des accords, des timbres instrumentaux, des dynamiques, mais l'on sait bien, et le compositeur le tout premier, que l'essentiel n'est pas là. Pour la beauté des sons, encore une fois, point n'est besoin d'instruments ni de compositeur, la nature pourvoit à notre bonheur. Seulement elle parle dans un langage qui n'est pas le nôtre — et c'est là son principal attrait. 

Le force de la musique, c'est qu'elle exige de nous une volonté. Être entouré de la plus belle musique du monde ne sert à rien si vous n'avez pas la volonté de l'écouter, puis de l'entendre. Elle ne se donnera pas à vous si vous ne faites pas l'effort d'aller vers elle. On dit en général qu'il faut une dizaine d'années pour faire un instrumentiste accompli (je pense qu'il faut beaucoup plus, mais peu importe), mais je suis certain qu'une vie ne suffit pas à faire de quelqu'un un écouteur de musique accompli. Heureusement, nous vivons plusieurs vies, grâce à une chose fondamentale dont tous cherchent aujourd'hui à nous débarrasser : l'héritage. Le goût et les aptitudes se déposent lentement dans la généalogie d'un individu. Ça laisse des traces… Il n'y a pas d'art possible dans un monde de la table rase. La volonté est nécessaire mais pas suffisante, il lui faut encore un terrain sur lequel s'inscrire, et ce terrain, ce sont les traces laissées par notre ascendance. 

Le son n'est donc qu'un vecteur. Il peut être vivant ou il peut être mort. La musique est l'art qui rend les sons vivants, elle s'adresse donc à des êtres vivants, qui restent vivants malgré la très puissante injonction incessante à être mort. Conduisez-vous comme des morts, aimez comme des morts, votez comme des morts, vivez comme des morts. La variété, la chanson, le rock, la pop-music, le rap, la techno sont des choses mortes qui s'adressent à des morts qui s'ignorent. Et la mort s'étend sur le paysage… Parfois, ici ou là, on en voit un qui se réveille, qui se frotte les yeux, et qui ne comprend pas ce qu'il voit. Il se sent un peu seul…