jeudi 15 avril 2010

Rafffe


C'était une super-criminelle, tueuse à gadgets et voleuse de bougies, qui conduisait une voiture amphibie dégonflée de partout et grognait d'une voix hargneuse un thème scrofuleux de Nietzsche, en bulles naines. Je l'adorais pour sa voiture et pour un con surnaturel dont je sentais que je pourrais le limer dans la super-réalité. La voiture n'était qu'anfractuosités luisantes, toute en soie brossée, d'une méchante efficacité. Ses phares projetaient un rayon de nord nucléaire qui changeait les gens en pierres ; au lieu d'essence, le moteur consommait du foutre humain. La sellerie, c'était de la peausserie d'avocats marrons. Du coffre dépassait un piano démembré en bois de citronnier.

— Dieu bénisse les pédés, ça fait des femmes en plus pour ceux qui restent.



mardi 6 avril 2010

Éloge du con - Sujet sur fond blanc


Il faut définitivement admettre que l'organe génital féminin externe est parfaitement adapté aux nécessités biologiques de notre espèce. Qu'il a atteint ce stade d'optimisation que le regretté Emile Leipp reconnaissait aux instruments de musique réussis. Que cette merveille d'adaptation fonctionnelle et comportementale, le sexe de la femme, mérite les mêmes honneurs, les mêmes louanges, et surtout le même respect que sa chevelure, sa bouche, ses seins, sa croupe et ses mollets. (Gérard Zwang)


Il y a des livres qu'il faudrait interdire à tout prix. Un livre, par exemple, qui nous expliquerait qu'« entre leurs cuisses, les femmes cachent une énigme », serait un candidat sérieux à l'interdiction pure et simple. En effet, on pourrait facilement prouver qu'un tel discours est réactionnaire (ce qui vaut aujourd'hui inéluctable condamnation), qu'il assigne les femmes à une essence (Pouah !), et que le coup du mystère, on nous l'a déjà fait à maintes reprises, à chaque fois qu'on voulait in fine dévaloriser l'objet ou le sujet à qui était accolée la glu romantique et dix-neuvièmiste d'un discours cachant mal ses intentions réductrices derrière un terme faussement élogieux, ou, sinon le dévaloriser, le (re)mettre (…) dans la perspective du patriarcat le plus éculé. Aucun mystère pour les modernes, en tout cas pas ici, pas dans ce département, pas au centre géographique du territoire féminin. Le mystère, on en veut bien, à condition qu'il se situe à des années-lumière de nous, dans les confins de ces secondes sacrées où l'Univers s'est décidé à devenir lui-même, et du même coup à faire voler en éclats notre vieille cosmogonie chrétienne.

Tout le monde connaît le Docteur Zwang, mais très peu savent qu'il a écrit des livres intéressants, qu'il n'est pas seulement un sexologue fameux, mais qu'il a écrit dans ses ouvrages des pages importantes sur cette chose que la pornographie ordinaire qui sévit sans concurrence depuis Internet a scellée bien plus que l'infatigable et obligatoire pleine lumière pourrait le laisser penser. Je n'hésiterai pas une seconde à écrire qu'à aucune autre époque le sexe de la femme n'a été méconnu comme il l'est aujourd'hui, et je rends grâce à Zwang d'avoir été sa vie durant un obsédé du con, obsession que je revendique fièrement — et humblement — comme mienne.

Seulement, on ne peut pas être un con-templateur, sans avoir le courage de dire toute l'ignominie de notre époque, dans ce domaine comme dans bien d'autres. C'est impossible, tant notre temps fait tout ce qu'il peut pour se faire détester de ceux qui aiment les femmes. Kundera a cette définition lumineuse de l'aliénation : « être l'allié de ses propres fossoyeurs ». Quelle époque aura vu les femmes si proches de ce qui les détruit inexorablement, de ce qui les abîme, de ce qui les défigure ? On peut rapprocher ce mouvement morbide de celui de ces peuples qui se laissent sciemment remplacer, évincer, en encourageant le plus souvent (en ne le décourageant pas) le mouvement qui va les emporter. Est-il scandaleux de dire que les femmes ont besoin des hommes pour être femmes ? Plus scandaleux que l'inverse ? Quelle autre époque aura sanctifié l'Autre à ce point, et éradiqué dans le même mouvement son occurrence réelle ? Il est difficile de croire que nous faisons partie d'une génération qui a vécu "la libération sexuelle", qui en garde des souvenirs, tant l'assujettissement des femmes est désormais un principe si universel que plus personne ne le remarque ni ne remet en question ses véritables manifestations. Il est assez comique que ce soit l'époque d'un ultra-féminisme qui aura vu éclore les formes les plus féroces d'une véritable aliénation de la femme. Tout se renverse constamment, en un mouvement bathmologique sans trêve, et les professionnels de la gueulante sont eux-mêmes constamment en retard d'une guerre, quand ce n'est pas d'un monde. Maintenant que les hommes ne menacent plus du tout les femmes, que la tendance s'est inversée depuis belle lurette, il est grand temps pour ces distraits systématiques de leur porter le glaive et de les achever, à terre. Ils ne voient pas que c'est d'abord aux femmes qu'ils font du tort, privées qu'elles sont de cette part de l'humanité où elles pouvaient appuyer leur féminité, contre laquelle elles pouvaient la faire jouer, l'aiguiser ou éventuellement la repenser. Il est infiniment plus difficile de se former, de s'informer ou de se réformer au contact du même, tout le monde sait ça.

Depuis que l'Origine du monde, le fameux tableau de Courbet, est visible, très en vue, sans qu'il soit besoin pour cela de faire partie des intimes du Docteur Lacan, depuis qu'on va le contempler en famille, on a pris l'habitude de regarder (ou plutôt de voir) cette chose, de la photographier, de la filmer, sous toutes les coutures et à tous les âges (pas une ado qui ne la propose au monde entier sur sa web-cam, entre la poire et le fromage, comme un fruit très peu défendu mais très promotionnel). Il n'y a plus rien à dévoiler, quand le mystère féminin est mis en pleine lumière, quand l'intérieur est montré avec tant de désinvolture, quand l'intime est retourné comme un gant. Le Sphynx reste coi, quand l'Énigme vocifère sur tous les plateaux. Monologues du vagin, cours de masturbation, épilation intégrale, pornographie "next door" de la voisine de palier, dans ces tristes conditions, l'envie serait plutôt de demander un peu de discrétion à cette bouche d'ombre devenue grande gueule.

Dans cet environnement, dans la compagnie des blogs, indécente par nature, comment oser encore célébrer le con, ou même seulement en parler, sans tomber dans le travers qu'on dénonce ? Aucun risque, en réalité, car les blogueurs et la modernité extasiée n'aiment pas le con. Qu'admire-t-on, chez les "stars du porno" ? Chez les hommes, la dimension de leur queue, chez les femmes leur disponibilité totale et stéréotypée, répondant parfaitement aux attentes calibrées des immatures de tout poil, ces adolescents éternels qui ont appris la sexualité chez John B. Root et la morale sur l'île de la tentation. Pas une seconde n'est accordée à la contemplation, autre nom du désir. Un des phénomènes les plus déprimants que je connaisse est celui de ces mères de famille qui se félicitent de suivre à la lettre les conseils de leurs filles, à propos de leur apparence, de leur(s) toilette(s), de leur corps. Naguère les parents expliquaient à leurs enfants comment il convient de se vêtir, de se présenter à autrui, quels sont les codes vestimentaires et langagiers adaptés à telle ou telle situation, ils formaient le goût de ceux-ci et les préservaient ainsi du stéréotype qui s'ignore, le seul à être vraiment mortel. (Les nouveaux venus apprenaient de ceux qui leur avaient fait place, ils s'inscrivaient dans une chaîne de sens.) Un terme résume bien la chose : la tenue. La tenue, c'est la vêture, mais c'est aussi la manière de se tenir devant autrui, la manière de parler, la façon qu'on a de s'empêcher, de faire advenir une certaine forme avant (ou avec) ses désirs ou ses pulsions propres. « Dans quelle tenue es-tu ! » Ce genre de phrases, entendues dans mon enfance, n'a plus cours, n'est plus recevable, désormais, puisque chacun prétend être soi-même avant toute autre considération. Certains auraient voulu penser que ce "soi-mêmisme" déchaîné et triomphant allait produire des humains libres et singuliers, puisqu'il y avait dorénavant autant d'êtres que d'individus, autant de manières que de canons. C'est bien entendu l'inverse qui est advenu. Mais ce qui a changé, par rapport aux époques antérieures, c'est que le conformisme ne s'appuie plus sur des valeurs déclarées et identifiées, acceptées ou combattues, façonnées par des classes sociales distinctes, mais qu'il est intériorisé par une société indistincte qui n'aperçoit plus son reflet dans la glace, ou qui prend ce même pour un autre, où l'on retrouve l'aliénation de ces individus dont la différence a le visage étrangement morne de la multitude.

Il est tout de même extravagant qu'une époque qui ne cesse de vanter la floraison infinie du singulier soit aussi castratrice et autoritaire, quand elle se mêle de dire la manière dont il convient de traiter ce qui devrait être précisément le comble du privé. Comme toujours, les plus normatifs sont les adolescents, mais comme ils sont maintenant orphelins de ceux qui jadis les aidaient à se défaire de cette grégarité passagère, pour entrer dans l'âge adulte, ils vont au contraire en faire profiter les ci-devant parents qui ne sont plus que des copains mal vieillis et pétrifiés d'admiration devant leur progéniture. Ce n'est pas la femme, qui est l'avenir de l'homme, c'est l'enfant. Mais nos ados, sentencieux et moralisateurs, ont reçu le renfort inattendu de la religion, ou plutôt d'une religion, dans leur détestation programmée et la confusion de leur esprit. Les inesthéticiennes ont entendu le message et sont montées sur le bateau qui est en train de larguer les dernières amarres avec le réel d'une humanité naguère sexuée. Le conforme est l'ennemi du con, autant que les esthéticiennes sont les ennemies de l'esthétique. Celles-là feraient bien de commencer par se regarder dans une glace. On ne peut pas ne pas penser que beaucoup de femmes qui répètent après les marchands que le beau est glabre ne se connaissent tout simplement pas, n'ont tout simplement jamais pris la peine de se contempler dans le miroir, qu'elles n'ont jamais eu assez de curiosité, d'amour et d'humilité pour seulement remarquer à quel point la femelle humaine est arrivée, après des millions d'années d'évolution, à une plénitude formelle, à quel point la vulve de nos femmes est arrivée à un stade esthétique où il n'y a rien à lui ajouter, et surtout rien à lui retrancher. Le con de la femme, c'est la lettre à la fois volée, ouverte, cachetée, illisible, mais dont l'évidence infalsifiable ne rebute que les illettrés qui pensent encore que le poil est un attribut de la virilité. Les arracheuses de touffe pensent comme on leur dit de penser dans les salles d'attente des salons de coiffure. Elles ne savent pas que le poil pubien et axillaire désigne au contraire la femme en âge d'avoir une sexualité normale, celle qui est apte à se donner du plaisir et à le partager librement avec l'homme qu'elle a choisi. La plupart des mammifères femelles n'ont pas de poils à ces endroits-là ! Les fillettes n'en ont pas encore, les vieilles femmes n'en ont plus. Le poil n'est ni un attribut typiquement masculin ni un signe d'animalité, contrairement à ce que tout le monde croit aujourd'hui. Il est là pour attirer le regard, pour aimanter le désir, pour lui donner un cadre, il est là comme promesse. C'est un signe, un stimulus, un exhausteur de goût, un amplificateur, un prélude. Mais on préfère désormais les écrans aux écrins, les portes de frigos aux forêts profondes. La Nuit sur le mont chauve n'est plus cet épisode terrifiant qu'il était pour Moussorgski, et nos femmes décrépies (décrépites avant l'âge) et passées au Napalm puant des connasses en blouses blanches et chewing gum qui les conseillent ressemblent dorénavant à des poulets cancéreux et immatures dont le sex-appeal est aussi développé que l'intelligence de leur nouvelles prêtresses de Monoprix. Y a-t-il expression plus hideuse que « Je vous fais le maillot ? », y a-t-il compagnie plus vulgaire que ces agents du mauvais goût institutionnel qui veulent avant tout que personne ne soit moins moche qu'elles ? Comment ne pas comprendre que ces pauvres filles dont l'arrogante bêtise cache mal une timidité maladive et mal placée ne supportent pas l'admirable provocation de la touffe pileuse, du mont de Vénus gonflé sous la culotte, configuration à la fois proéminente et pudique, complexe, stratifiée, médiatrice, qui donne tant de prix à l'ultime abandon ? La toison est un redoublement du vêtement, son signe ultime et ambigu, une pelure supplémentaire, un voile de plus qu'il convient d'écarter, une porte à ouvrir, un détour, un supplément, un voyage ! Il faut aller la chercher, l'arracher au dragon qui la garde. Toutes les femmes sont Chrysomallos, tous les hommes sont Jason, tous sont des chercheurs d'or.

Plus j'y pense, plus je me dis que ceux qui détestent le poil féminin sont les mêmes que ceux qui n'aiment pas la langue, son ambiguité, sa complexité, sa richesse, le travail qu'elle exige, le fait qu'elle ne se donne pas au premier (mal)venu, qu'elle exige de la tenue. La transparence et l'immédiat sont les ennemis irréductibles du sens, et des sens.