Le pianiste fit un nombre de fausses notes impressionnant. Comme me le chuchote un ami, alors : « C'est plus des pains, c'est une boulangerie ! »
À la sortie du récital, on l'interroge : « Maître, que s'est-il passé, une méforme, un mauvais piano, des courants d'air ? » Le type ne se démonte pas : « Je ne supporte plus ce fasciste de Mozart. Cette sonate est écrite en ut majeur, une tonalité éminemment suspecte. Vous rendez-vous compte que toutes les notes noires, ou presque, y sont odieusement discriminées ? J'ai simplement voulu faire œuvre citoyenne, en m'élevant contre la ségrégation, en apportant un peu de diversité dans la composition de cet artiste homophobe et raciste, n'en doutez pas, qui sent le moisi et le patriarcat insupportable d'un pays notoirement réactionnaire. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour dire que ce genre d'œuvres est responsable entre autre du conflit israélo-palestinien, par un enchaînement de causes et d'effets qu'il serait trop long de décrire ici. Vous comprenez, j'ai eu la chance de côtoyer Anthony Braxton et Joan La Barbara, et il m'est très difficile de faire abstraction au quotidien de l'enrichissement considérable que ces artistes ont apporté à l'art en général et à la musique en particulier. Je continue à jouer Mozart, OK, mais en le revisitant, si vous voulez, en l'investissant avec mon vécu perso. C'est vrai que ça me semble on va dire la moindre des choses pour un artiste citoyen contemporain ! »
Mon ami lui demande de tirer sur son petit doigt. Le pianiste s'exécute, et l'on entend un formidable pet en ré bémol majeur. Sublime modulation !
L'autre s'évanouit dans un nuage odorant. On trinque.